Jérôme:« Dans leur tête, des verres remplis d’eau »
Dans le(s) Magazine(s) : n°3 avril 2018
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Jérôme, 20 ans, a des parents alcooliques. Plus jeune, leur alcoolisme était une honte pour lui. Aujourd’hui, même s’il n’en veut pas à ses parents, c’est devenu une véritable leçon de vie.
On ne se rend pas vraiment compte de l’alcoolisme de ses parents, enfin pas avant un certain âge. On pense que nos parents sont comme les autres, avec leurs mauvais côtés. C’est lorsque j’étais au collège que j’ai compris que quelque chose n’allait pas, que ce n’était pas « normal » de boire chaque jour de l’alcool et que tous les parents ne faisaient pas ça. Je m’en suis rendu compte en étant invité chez des amis, tout simplement. J’étais invité pour une ou deux nuits, je voyais des parents qui ne prenaient pas un whisky dès qu’ils rentraient du travail. Des parents qui étaient finalement de vrais parents.
Ma relation avec eux était particulière. Je n’ai pas été malheureux, mais l’alcool a quelques conséquences qui ne sont pas anodines. Je pense que l’une des choses les plus difficiles pour moi était d’inviter des amis chez moi. Je n’étais pas à l’aise lorsqu’il y avait du monde à la maison, je ne savais pas ce qu’il se passerait, ni ce que penserait mes amis.
C’est blessant de se dire qu’un ami puisse trouver notre famille bizarre ou folle. J’avais en quelque sorte honte parce que je savais qu’il trouverait ça étrange de voir mes parents boire. Mais en y repensant, peut-être que je me prenais trop la tête. J’aimais et j’aime mes parents, mais on n’était pas aussi proche que je l’aurais souhaité, en grande partie car l’alcool met des barrières en changeant l’humeur de la personne, en la rendant « endormie » et pas forcément à l’écoute.
Malgré tout, je ne pense pas en vouloir à mes parents. Une partie de moi regrette forcément certains mauvais moments, bien sûr. Mais je trouve ça fort, de leur en vouloir. J’aurais aimé qu’ils se rendent compte de cette addiction, qu’ils l’avouent. Pour eux, ils ne sont pas alcooliques. En fait, c’est devenu une habitude, il n’y a pas un seul jour sans alcool. Après je n’ai pas eu une enfance malheureuse, chacun à ses casseroles on va dire. Dans leur tête, leurs verres sont remplis d’eau. Et parfois, du matin au soir, ils ne s’arrêtent pas.
J’ai pu voir les côtés négatifs de leur alcoolisme, mais je n’ai pas pour autant banni l’alcool de ma vie. Je suis jeune, je sors parfois, je vois des amis, je bois, par contre je sais que je ne veux pas en abuser et je ne veux pas que ça devienne une habitude indispensable à ma vie. J’en ai tiré une leçon. Je ne veux pas que mes futurs enfants aient un père qui boit pour se détendre.
Propos recueillis par Zoê Sulser, Noémie Sarem, Morgane Merliaux, Marie Teste et Oriana Stephan