Alcool quand tu nous tiens
Dans le(s) Magazine(s) : n°3 avril 2018
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L’alcool n’a pas dit son dernier mot. De l’alcoolisation au gros rouge jusqu’au binge drinking, il se réinvente pour conserver son image festive et mute pour séduire les plus jeunes. Alors même qu’il est un véritable fléau de santé publique.
L’alcool fait partie de notre culture nationale et ce n’est pas près de changer. Ce qui évolue, en revanche, ce sont les modes et les habitudes de consommation. A commencer par l’âge, de plus en plus précoce, des premiers pas alcoolisés. D’après un article de l’INPES (Agence nationale de santé publique) publié en février 2016, les ventes annuelles d’alcool pur en France diminuent régulièrement depuis plus de cinquante ans. Pourtant, la part des 18-25 ans ayant connu une ivresse dans l’année entre 2005 et 2014 a fait un bond de 33% à 46%, et la part de ceux en ayant connu au moins trois a presque doublé.
91% des jeunes de 17 ans reconnaissent avoir déjà connu une ivresse, l’alcool étant la substance addictive la plus consommée.
Si l’âge moyen de la première cuite reste relativement stable (autour de 15 ans), c’est la fréquence des ivresses répétées ou régulières qui doit inquiéter. Selon l’IRDES (l’institut de recherche et documentation en économie de la santé) les premières expériences d’usage ont lieu dès l’adolescence. Des week-ends d’intégration aux soirées du jeudi soir en passant par la sortie du samedi, l’alcool est omniprésent. Selon l’enquête OFDT/Escapad, faite sur un échantillon de jeunes Français de 17 ans, 53% d’entre eux avouent avoir consommés au moins 5 verres d’alcool le mois précédent l’étude.
Inquiétant si l’on ajoute que la précocité est un facteur aggravant qui peut conduire tout droit à l’addiction :
« La précocité est un indicateur significatif : plus l’expérimentation de l’alcool se produit tôt dans la vie, plus les risques ultérieurs sont grands » (Arvers et al.,2012).
Le genre fait aussi partie des facteurs déterminants de la consommation d’alcool chez les jeunes : 6 % des garçons ont de graves problèmes avec l’alcool, contre seulement 2 % chez les filles. Selon l’étude, les garçons boivent non seulement plus que les filles, mais aussi plus fréquemment. Exprimé en nombre de verres, les garçons boivent trois à quatre fois plus que les filles du même âge .
Peu de binge drinking
On parle beaucoup dans les médias du « binge drinking » (Article de Libération), la « biture express » venu des pays anglo-saxons, qui consiste à se soûler le plus rapidement possible, mais une étude qualitative menée en France par un sociologue rattaché à l’Inserm auprès d’individus de 16 à 21 ans , a tiré des conclusions moins attendues : les jeunes Français ingurgitent beaucoup d’alcool, mais sur la durée. Et ils boivent beaucoup moins que leurs ainés, « leur consommation d’alcool étant le plus souvent épisodique et concentrée en fin de semaine « .
D’après la directrice de recherches à l’Inserm, Marie Choquet, « les jeunes Français ne boivent pas de la même manière que les Anglais. Il y a une spécificité hexagonale : ils mangent, dansent, discutent. Des activités qui font qu’on ne stocke pas l’alcool de la même façon. » Selon cette spécialiste de la santé des adolescents, seuls 5 % des 16-25 ans s’adonnent au « binge drinking à répétition ».
D’ailleurs, la majorité des jeunes ayant témoigné pour l’enquête ne se reconnaissent pas dans la description que l’on fait du rapport des jeunes à l’alcool. Ils n’ont pas l’impression de mettre leur santé en danger, ils se retrouvent pour faire la fête et l’alcool fait partie intégrante de leur vision de la fête. La consommation d’alcool est banalisée et c’est bien cela qui interpelle.
Le fêtard et le fuyard
Freud définissait une fête comme étant « Un excès permis voire ordonnée, une violation solennelle d’un interdit ». Aujourd’hui une fête peut-elle être considérée comme telle si l’on n’y trouve pas d’alcool ? Utilisé comme pratique initiatique mais aussi d’intégration, l’alcool à prit une place dans la vie sociale des jeunes. Il reste un moyen de se sociabiliser, de faire comme les autres et ainsi de se sentir un membre à part entière d’un groupe, d’une communauté.
Les adolescents sont préoccupés par l’image qu’ils renvoient aux autres. Pour eux, la seule manière de passer outre cette image est de consommer démesurément de l’alcool. Ce dernier modifie le ressentit du consommateur, change la perception de l’environnement et altère la maîtrise de soi. Ainsi, la boisson permet de se désinhiber, de s’affirmer et de se conformer aux normes et valeurs sociales dominantes. Le « fêtard » va seulement boire pour faire la fête, tandis que le « timide » boit principalement pour s’intégrer. L’aventurier » boit pour ressentir de nouvelles sensations et le « fuyard » cherche à fuir la réalité et les problèmes.
L’adolescence est aussi une période propice aux addictions. Le jeune adolescent tente d’affirmer son indépendance vis-à-vis de la cellule familiale, cherche sa place entre le monde de l’enfance et celui de jeunes adultes. L’adolescence c’est aussi la remise en question de tous les repères des adultes, de l’entourage avec la naissance de nouvelles attitudes, bonnes ou non.
Dangereuse dédramatisation
Pour Marie Choquet, la question à se poser est « pourquoi les jeunes boivent ils ? ». Les raisons qu’ils invoquent sont d’abord le plaisir de la fête, du goût, la recherche perpétuelle de nouvelles sensations, de nouveautés. La ritualisation de la « cuite » lors de soirées peut aussi être une cause de l’alcoolisation. Et même si la consommation des jeunes se tourne vers des boissons contenant beaucoup d’alcool, elle reste encore largement associée à la socialisation. Si l’ivresse est le remède que certains jeunes choisissent pour oublier leurs problèmes, la majorité d’entre eux y voient simplement un facteur festif et social.
D’après le psychiatre et addictologue Philippe Batel : « On ne peut pas demander aux adolescents de ne pas faire d’expériences, un adolescent ne connaît pas encore ses limites, il ne sait pas quelle quantité boire pour se faire plaisir, et celle au-delà de laquelle il va être malade. ».
Alors que 40% des parents pensent que leurs enfants ont une conduite addictive et que l’inquiétude sur l’alcool arrive en tête devant le tabac et le cannabis, seuls 19% des jeunes pensent être dans ces cas-là. Une différence flagrante qui s’explique par le fait que les plus jeunes, malgré une consommation fréquente, ne pensent pas que cela soit pour autant dangereux. Comme nous le dit Marie Choquet, directrice de recherche de l’Inserm, les jeunes ne souhaitent pas que l’on en fasse un drame, pour eux ce n’est pas grave, ce serait même presque normal.
Trop de pression
Selon la chercheure de l’Inserm, la question qu’il faut se poser est plutôt « pourquoi les jeunes ont tant besoin de cette soupape qu’est l’alcool ? ». A cela, elle répond : « la pression scolaire est trop forte ». D’autant plus qu’à l’adolescence, les jeunes traversent une période difficile, qui les fragilise et les rend d’autant plus sensibles à la pression sociale. Il faut se prendre une « cuite » pour que la soirée soit réussi, faire comme tout le monde, adopter les comportements de son groupe.
Même son de cloche du côté du professeur Xavier Pommereau, pédopsychiatre au CHU de Bordeaux, pour qui le discours pessimiste de la société n’incite pas les jeunes à réduire leur consommation d’alcool. « Il faut arrêter de délivrer aux enfants systématiquement un discours négatif, de leur dire que la planète est foutue, que la crise économique les attend, tout en leur mettant la pression à l’école. »
Familles et histoires de vie
Physiologiques, psychologiques, influence de l’entourage. Au-delà du plaisir évoqué par les consommateurs, des causes plus personnelles expliquent pourquoi un jour on passe de la consommation à l’addiction. Les facteurs de vulnérabilité identifiés par les scientifiques sont liés à la personne et son histoire de vie, au genre, à l’âge, à certaines caractéristiques génétiques, psychologiques ou encore environnementales et socioculturelles. Des individus qui ont une faible conscience du risque ou qui sont impulsifs iront aussi plus facilement vers des conduites excessives
L’étude de l’IRDES (Institut de recherche et documentation en économie de la santé)a montré le poids écrasant de l’environnement familial, pas toujours là où on l’attend. Il en va ainsi de l’argent de poche, qui peut favoriser les conduites addictives. Mais aussi de la profession du père ou encore de la présence de la mère au foyer. Le risque de développer une addiction est également accru, selon l’IRDES, chez les 13-17 ans qui perçoivent la consommation d’alcool de leurs parents comme problématique.Chez les 18-24 ans, le risque d’une consommation à problème est deux fois plus important si les parents boivent fréquemment avant et pendant les repas. Inversement, si les parents ne consomment pas, l’enfant lui-même aura trois fois plus de chances de devenir non-consommateur.
Plus largement, la composition de la famille joue un rôle. C’est le cas pour les familles recomposées : elles sont surreprésentées parmi les consommateurs abusifs d’alcool, alors que pour les familles monoparentales aucun risque supplémentaire n’est présent. Pourquoi ? Parce que les enfants vivent alors plus souvent avec leur mère et que les femmes sont 3 fois moins à risque que les hommes. Et le feu vert des parents n’est pas sans conséquence : lorsque le jeune a l’autorisation (ou la non-interdiction) de boire, il sera plus à risque de trop consommer.
Cibles de la pub
En France depuis 2009, la publicité de produits alcoolisés sur internet est autorisée, or le public d’internet est largement composé par les plus jeunes. De fait les placements de produits dans les clips ou les réseaux sociaux d’artistes populaires se multiplient, influençant la manière de consommer des adolescents.
Les jeunes sont aussi devenus la cible des marketeurs, avec des nouveaux produits conçus exclusivement pour eux. En juin 2011 le magazine Sciences humaines, expliquait que les industriels ont mis sur le marché il y a une dizaine d’années, les coolers, ces mélanges déjà préparés dans lesquels ils ajoutent du sucre pour masquer le goût de l’alcool, et soignent leurs packagings et slogans pour séduire les jeunes.
Conséquences dramatiques
Violences anormales, accidents de la route, rapports sexuels non-protégés la liste est longue des ravages causés par l’alcool. Une consommation intensive d’alcool a des conséquences au niveau cognitif, pouvant se traduire par une diminution des capacités attentionnelle ainsi que mémorielle. Il faut aussi savoir que les risques cardiovasculaires sont très présents, tout comme les symptômes de dépression, avec une augmentation majeure du risque suicidaire. Il ne faut pas non plus minimiser le sevrage et les conséquences que cela a sur l’organisme : tremblements, convulsions, insomnies, angoisses.
Article collectif : Oriana Stephan, Morgane Merliaud, Noémie Sarem, Marie Teste, Zoé Sulser