La Sainte Pêche
Dans le(s) Magazine(s) : N°10 juin 2021
Mots-clefs : normandie, pêche
15 000 tonnes de coquilles Saint Jaques sont pêchées chaque année par 300 navires en Normandie. Rencontre avec l’équipage de l’un d’entre eux. En pleine nuit, à une heure où seuls les projecteurs des chalutiers éclairent le port et la criée de Grandcamp-Maisy (Calvados), j’ai rendez-vous avec Bruno Gosselin, 54 ans, ancien boulanger devenu marin pêcheur …
15 000 tonnes de coquilles Saint Jaques sont pêchées chaque année par 300 navires en Normandie. Rencontre avec l’équipage de l’un d’entre eux.
En pleine nuit, à une heure où seuls les projecteurs des chalutiers éclairent le port et la criée de Grandcamp-Maisy (Calvados), j’ai rendez-vous avec Bruno Gosselin, 54 ans, ancien boulanger devenu marin pêcheur il y a 30 ans, aujourd’hui patron du bateau Le Normandie. C’est avec lui et son équipage, Denis Legrand, Morgan Louvel et Johnny Marie, que je m’embarque pour une marée entière dédiée à la pêche de la coquille Saint Jacques en baie de Seine.
Nous quittons le port pour prendre la direction de la zone de pêche. Ces zones sont différentes selon les saisons et ont été mises en place il y a plusieurs années afin de préserver les espèces. Durant le trajet, Bruno pilote le bateau et le reste de l’équipage a pris place sur les couchettes nichées sous le pont, à côté du moteur. Les bruits mécaniques et l’odeur de gazole bercent les marins pêcheurs. Vers 6h30, une sirène résonne, c’est le signal : la pêche commence. Bruno guide les opérations depuis sa cabine. « On va mettre la drague à l’eau, explique-t-il. Pour faire simple, ce sont plusieurs filets équipés d’anneaux métalliques et de couteaux qui vont prendre les coquilles au fond. »
Une fois la drague à l’eau, il faut attendre 40 minutes. Pendant ce temps, les marins reprennent des forces avec un café bien chaud. L’occasion pour moi de m’entretenir avec Johnny et Morgan, tous les deux âgés de 36 ans. Ils ont connu un parcours semblable. « À 14 ans j’étais à l’école maritime à Cherbourg, à 16 ans sur le bateau, me confie le premier. De toute façon, ajoute-t-il, à Grandcamp, y’a rien d’autre à faire ! » Avec Denis adossé aux commandes de navigation et Bruno fixé sur son siège, nous dérivons sur deux autres sujets : le Brexit qui pourrait provoquer des conflits avec les pêcheurs britanniques et la réglementation qui encadre la pêche de la coquille Saint Jacques. « Nous, on n’est pas inquiets, ils viennent pas par ici, ils sont plus au large » me confient-ils à propos des Anglais. Et la réglementation ? « Au début on gueulait mais en fait c’est une bonne chose, on est assuré de faire deux tonnes à chaque sortie et tous les ans on a de la coquille. »
Bruno se lève de son siège, il est temps de relever la drague. Johnny, Morgan et Denis descendent sur le pont. Bruno toujours à la manœuvre actionne le treuil, le reste de l’équipage vide les filets, remet la drague à l’eau et commence à trier les coquilles. Sélectionnés à vue en fonction de leurs tailles, 11cm minimum, les coquillages sont entassés dans des bacs en plastique qui prendront la direction de la cale. À genou et à même le sol, les trois hommes vont passer quatre heures à reproduire ces gestes. Alors que le vent et la houle commencent à se lever, le câble du treuil qui permet de remonter la drague cède. Avec une grande sérénité, Morgan monte sur le haut du portique à plus de 3 mètres du sol sans aucune protection et change le câble. Sans encombre, le chalutier regagne le port un peu plus tard afin de débarquer le fruit de cette sortie.
Arthur Fafin