Un comté médaillé d’or
Dans le(s) Magazine(s) : N°10 juin 2021
Mots-clefs : comté, fromagerie, terroir
Dans un petit village isolé du Doubs, à Boujailles, est fabriqué l’un des meilleurs comtés de France. Quatre fromagers et de nombreux fermiers se mobilisent chaque jour pour le produire. Sur un chemin de boue entouré de champs, un véhicule est bloqué par un cortège inhabituel : une quinzaine de vaches à lait traversent la route …
Dans un petit village isolé du Doubs, à Boujailles, est fabriqué l’un des meilleurs comtés de France. Quatre fromagers et de nombreux fermiers se mobilisent chaque jour pour le produire.
Sur un chemin de boue entouré de champs, un véhicule est bloqué par un cortège inhabituel : une quinzaine de vaches à lait traversent la route sous la direction avisée de Joseph. Tous les jours depuis bientôt 30 ans, ce fermier boujaillons emprunte le même chemin pour sortir ses vaches… et ce n’est pas le « zozio » au volant qui va l’en empêcher.
« Je suis né dans le village juste à côté, confie-t-il. Petit, j’aidais à la ferme puis je suis parti faire mes études. Cela ne m’a pas plu alors je suis revenu ici et maintenant je m’occupe du lait avec les autres. » Les autres, ce sont les fermiers des environs qui acheminent chaque année plus de cinq millions de litres de lait de vache à la fromagerie de Boujailles. Un chiffre rendu possible grâce à l’association d’une quinzaine de familles. « A l’époque de mes grands-parents, tout le monde se tirait dans les pattes. Mais dans les années 1960, le Pépère [Victor Délémontes ancien gérant de la fromagerie] a réuni toutes les fermes du coin. Depuis, explique Joseph tout en chargeant le lait de la dernière traite, on travaille tous pour la même personne, alors on s’entraide. »
Il est 6h, je quitte le fermier pour nous rendre à la fromagerie où plus de 8 000 litres de lait sont livrés chaque jour. Sur place, je suis frappé par le contraste entre le petit village de campagne et ce grand bâtiment high-tech tout droit sorti d’un film de science-fiction. Philippe Meunier, chef fromagé, m’accueille ; derrière son masque, on devine un visage souriant. Il travaille là depuis 1990, d’abord en tant que second, sous les conseils avisés de son père, puis maître-fromager depuis 1993. Aujourd’hui il montre avec fierté le palmarès accroché dans le sas d’entrée : une médaille d’argent en 2006, une autre en bronze en 2008 et surtout une médaille d’or en 2015 pour le meilleur comté au Concours général agricole. Le fromager décrit son comté et toutes ses spécificités comme un œnologue décrirait du bon vin, avec passion. « C’est un fromage exceptionnel pour sa pâte bien consistante, sa texture. Il évolue avec le temps. On sent bien les acides aminés, c’est ce qui nous caractérise. Le goût fait la différence. Cela tient du terroir, de la flore et du savoir-faire des paysans. »
Les quatre fromagers travaillent avec du lait cru non pasteurisé. Il doit donc être livré frais moins de 24 h suivant la traite. Pour Jean Cattin, président de la fromagerie depuis 2009, cette organisation constitue un véritable challenge, à raison de 40 comtés de 40kg produits chaque jour, le travail n’est pas de tout repos pour Philippe et ses collègues. Soutenu par le bruit continu des cuves de lait, je me prête à l’exercice : retourner une des meules. Après quelques moqueries, il m’explique le bon geste à avoir… puis m’invite à un atelier dégustation !
Victor Ranson