rencontre avec deux artistes
Dans le(s) Magazine(s) : n°9 novembre 2019
Mots-clefs :
Kiddy Citny et Okse 126 sont deux street artistes berlinois de deux générations différentes. Le premier a peint sur le Mur avant sa chute, le second dans les rues de Berlin après la réunification. Comment êtes-vous arrivés dans le milieu du street art ? Kiddy Citny : Quand j’ai commencé en 1983, ce qu’on appelle maintenant street …
Kiddy Citny et Okse 126 sont deux street artistes berlinois de deux générations différentes. Le premier a peint sur le Mur avant sa chute, le second dans les rues de Berlin après la réunification.
Comment êtes-vous arrivés dans le milieu du street art ?
Kiddy Citny : Quand j’ai commencé en 1983, ce qu’on appelle maintenant street art n’existait pas encore à Berlin. J’ai commencé à peindre sur le Mur à l’est de la ville parce que je voulais enfermer artistiquement Berlin Est. Je souhaitais neutraliser la guerre froide. L’Est et l’Ouest devaient se retrouver par la peinture. D’ailleurs, il y a eu une grande contestation à Kreuzberg à Berlin. Tout le monde disait « Vous ne pouvez pas peindre sur le Mur ! Il est un symbole de honte, un symbole de mort ! ». Pourtant, on a peint sur ce Mur pour enfermer artistiquement Berlin Est. On en a peint des centaines de mètres. Si le Mur était encore debout aujourd’hui, nous serions encore en train de peindre.
Okse 126 : J’ai commencé il y a dix-neuf ans avec le graffiti. J’ai toujours essayé de trouver de nouvelles idées. Un jour, j’ai dessiné des personnages de cartoon dans un style simple et minimaliste. C’est ainsi que j’ai commencé le street art en arrêtant complètement le graffiti. J’aime les figures simples. Il y a tellement de street art à Berlin que lorsque je marche dans la ville, je fais beaucoup plus attention aux détails, au minimalisme.
Pourquoi Berlin ?
Kiddy Citny : J’étais jeune, je m’ennuyais en Allemagne, je suis allé à Londres où il y avait des mouvements punk. Des amis à Berlin m’ont raconté qu’il y en avait aussi dans la ville. Je m’y suis donc installé. J’ai commencé l’art en 1975 car c’était mon seul centre d’intérêt. Je ne voulais pas devenir avocat ou médecin.
Okse 126 : Je suis né à Berlin et toute ma famille vient d’ici.
Comment avez-vous vécu la chute du Mur ?
Kiddy Citny : C’était une surprise. On se sentait libérés. J’ai arrêté de peindre après la chute du Mur car la mission était accomplie. Nous avons fait notre part du travail et le Mur est tombé. Un copain racontait cette blague : « Je suis un peintre employé par le Mur ». Ensuite, nous avons commencé à travailler pour des amateurs d’art. Ils nous ont commandé des œuvres qu’ils avaient vus sur le Mur. Notre travail de rue s’est retrouvé dans leurs appartements.
Okse 126 : Je suis né avant la chute du Mur mais j’étais enfant lorsqu’il est tombé. Je ne me souviens de rien. J’étais trop jeune pour me rendre compte des enjeux. J’ai grandi avec ma famille à l’ouest de Berlin donc nous étions moins concernés que d’autres Berlinois. Bien sûr, nous étions heureux au moment de la chute mais cela n’a rien changé pour nous.
La réunification a provoqué la gentrification à Berlin. Cela impacte-t-il le street art ?
Kiddy Citny : Oui bien sûr, il y a beaucoup d’effets pour les street artistes, la plupart du temps vous devez acheter les appartements, vous ne pouvez plus les louer. Le street art rend aussi les rues tendances et participent à la hausse des prix. La chute du Mur a tout changé à Berlin. A l’époque, elle était une ville très intéressante pour les artistes car tout était possible. Soixante euros était suffisant pour trouver un appartement. A l’Est, c’était encore moins coûteux, 40 euros seulement. Ce n’était pas seulement des artistes mais des jeunes gens atypiques. C’était la ville parfaite pour expérimenter. Du temps du Mur, les plus jeunes venaient aussi pour échapper au service militaire. Berlin dans toutes ses facettes était extrême. Il y avait des mouvements punk, des mouvements hippies, des mouvements étudiants. Il y avait un sentiment de liberté.
Okse 126 : Les prix augmentent, c’est vrai. Ce n’est pas facile de vivre ici. Je ne vis pas de mon art, j’ai un travail à côté. C’est devenu difficile de s’installer à Berlin voire impossible pour les artistes qui recherchent un atelier. Je fais mes préparations dans mon appartement. Les autorités construisent de nouvelles maisons immaculées. Il y a du changement mais on peut encore trouver des endroits pour créer.
Que pensez-vous d’East Side Gallery ?
Kiddy Citny : C’est un faux. Tout le monde pense que c’est un monument de Berlin, mais les artistes ont commencé à peindre dessus durant les années 1990. Impossible de le faire avant car le Mur était à l’Est ! Les autorités auraient dû conserver d’autres bouts du Mur. Ils ont été stupides, ils auraient dû le conserver en tant que monument mais ils ont décidé de tout détruire.
Okse 126 : Ce n’est pas très intéressant de visiter East Side Gallery pour un artiste, c’est un monument touristique. Selon moi, le street art doit être urbain. Vous marchez dans la rue et vous apercevez une œuvre : c’est du street art.
Et votre style ?
Kiddy Citny : J’ai peint des visages sur le Mur car les gens ont un visage. Je souhaitais que l’Est et l’Ouest se regroupent. J’ai mis des couronnes sur les visages car toutes les personnes du monde devraient se sentir comme des reines ou des rois. Il s’agissait d’un message très simple. Mais peindre sur le Mur donnait des responsabilités. Maintenant, je continue pour les générations futures. Mon inspiration vient de mon vécu, des personnes que je rencontre et de mes amis. Beaucoup d’éléments dans la vie et dans mon art viennent également de l’amour.
Okse 126 : J’utilise les quatre couleurs de l’imprimerie : le cyan, le magenta, le jaune et le noir. Il s’agit des quatre couleurs de la création. Avec ces quatre couleurs, vous avez une image. C’est un hommage au pointillisme où les artistes utilisaient des petites touches pour créer une grande œuvre. C’est le plus pur minimalisme possible. Il s’agit aussi de couleurs reconnaissables.
Propos recueillis par Pierre Villermaux