Jeux de gain, jeux de vilains
Dans le(s) Magazine(s) : n°3 avril 2018
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En France, plus d’un jeune sur cinq joue à des jeux d’argent et de hasard. Paris sportifs, poker en ligne, tirages et tickets à gratter, le choix est vaste, surtout depuis l’explosion des jeux sur le Net. Des pratiques qui peuvent conduire à l’addiction, avec des conséquences plus importantes chez les jeunes que chez les adultes.
La consommation de jeux d’argent en France n’est pas un fait rare ou nouveau. 75 % des français âgés de 15 à 75 ans y ont joué au moins une fois dans leur vie et, parmi les 15-24 ans – plus d’un sur cinq joue régulièrement à des jeux d’argent.
Ils ne jouent pas tous de la même façon : les étudiants préfèrent les paris sportifs, les jeux de casino et le poker en ligne, tandis que les mineurs seraient plus tournés vers les jeux à gratter. Un jeune joueur va miser son argent au hasard, un joueur plus âgé favorisera les jeux nécessitant des connaissances et de l’expérience dans le domaine. Les jeux de hasard sont aussi plus accessibles au jeune public, y compris les mineurs, qui n’ont pourtant pas l’âge légal requis. Ces jeux peuvent être achetés directement en ligne ou en bureau de tabac, pour de petites sommes.
Familles, publicités, revenus
Qui dit usage ne dit pas pour autant addiction. Les jeunes sont certes très sensibles à l’image renvoyée par les publicités que ce soit à la télévision, en ligne ou dans les bars tabac – qui trop souvent ferment les yeux sur l’âge des joueurs – et en sont d’autant plus vulnérables. Mais d’autres facteurs peuvent influer sur leur comportement. Leur attirance vient pour certains d’une habitude apprise de leurs parents, pour d’autres c’est l’occasion de gagner un peu d’argent. Un joueur de 17 ans explique à RMC que cela « permet de se faire un petit revenu ». Ou alors c’est juste pour le plaisir que gagner leur procure, fait confirmé par le docteur Lowenstein (président de SOS Addiction) :
« L’excitation du jeu peut correspondre […] à une stimulation aussi importante qu’un trait de cocaïne ».
Plus jeunes, plus accros
Cette « passion » précoce pour le jeu les rend plus susceptibles d’être accros aux jeux que les adultes, souligne-t-il. Le danger est donc d’autant plus grand que le joueur est jeune. Danger bien réel si l’on en croit l’explosion des consultations à SOS Addiction, comme le souligne son président.
« Il y a encore deux ans, on avait une consultation par semaine de jeunes. Maintenant c’est quotidien ».
Un institut d’étude européen nuance toutefois ces propos. Il assure que la pratique des jeux d’argent en ligne connait une baisse significative chez les jeunes de 18 à 24 ans depuis 2014, outre-manche mais aussi sur le territoire français. Un phénomène qui pourrait s’expliquer par le transfert des joueurs les plus jeunes vers les jeux sur smartphone.
Infographie : Pauline Tanguy
Autodestruction et délinquance
On parle de joueur excessif lorsque des symptômes d’addiction apparaissent. Le joueur excessif mise de plus en plus, plus que ce qu’il peut perdre et voit apparaitre des effets néfastes sur sa santé.
L’addiction aux jeux d’argent peut avoir des conséquences terribles pour le jeune joueur mais aussi son entourage. Il se sent obligé de miser des sommes de plus en plus importantes, emprunte pour jouer, puis rejoue pour tenter de réduire ses précédentes pertes. Le jeune addict présente souvent un syndrome d’anxiété et de dépression qui peut l’entrainer vers d’autres addictions.
« Le jeu pathologique chez l’adolescent est également étroitement associé aux dépendances aux substances psychoactives, en particulier à l’alcool, au tabac, au cannabis et à la cocaïne », soulignent les psychiatres.
Comme l’a révélé une étude de l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT), le fait de trop jouer entraîne chez les joueurs problématiques – quelque soit leur âge – un surendettement, de multiples vols, des abus de confiance et des falsifications de chèques (20% des joueurs français). Et cela pourrait devenir une réalité pour les jeunes joueurs qui sont, parmi les 15-24 ans, 23.4% à être considérés comme « joueurs problématiques » par l’Observatoire du Jeu (ODJ).
Dans les cas les plus extrêmes, la maladie n’entraine donc plus seulement des pertes d’argent, des problèmes relationnels avec les amis et la famille ou des difficultés scolaires mais également des actes de délinquance.
Pas de médicament mais du soutien
Comment prévenir de telles dérives ? Des campagnes comme celles de la Française des jeux permettent de sensibiliser aux risques, une démarche appuyée par les addictologues. Dans les bureaux de tabac, l’interdiction de vente aux mineurs devrait être respecté, sous peine d’amendes pour le vendeur. Et la demande d’une pièce d’identité devrait être automatique.
La famille a aussi son rôle à jouer. Les proches peuvent s’investir en parlant à leurs adolescents des dangers liés à cette addiction aux jeux d’argent : en jouant avec modération et en limitant les jeux d’argent à la maison au profit d’autres activités.
L’urgence est avant de tout de repérer le plus tôt possible les jeunes à risque qui ont souvent des troubles de l’attention, une baisse des résultats scolaires et une négligence physique. Si l’adolescent est un joueur excessif ou problématique, une prise en charge comportementale est vivement recommandée avec un thérapeute, comme le souligne ce spécialiste :
« Le jeu pathologique est une maladie et non une faiblesse, un vice ou un manque de volonté ».
Les Alcooliques Anonymes ont développé une thérapie qui s’applique à toutes les addictions y compris les jeux d’argent. Elle comporte des séances de relaxation, des groupes d’entraide et le traitement des autres problèmes liés à l’addiction aux jeux (cannabis, consommation d’alcool etc…). En attendant un médicament qui prouve son efficacité. Aucun n’a pour le moment été validé par les autorités de santé. La thérapie représente donc l’essentiel du traitement des joueurs.
Antoine Lefevbre, Nicolas Gonin, Lucie Grodet et Pauline Tanguy.
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Jeux d’argent : les adots tentent leur chance, les buralistes ferment les yeux – Le Monde du 15 décembre 2017.