Du cannabis dans le biberon
Dans le(s) Magazine(s) : n°3 avril 2018
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La France est le pays européen dont les consommateurs de cannabis sont les plus jeunes. Consommation en forte hausse ces dernières années. Ce constat alarme les spécialistes de la santé qui attirent l’attention sur les risques d’une telle addiction.
Marijuana, haschich, weed, sont des termes dont la signification est bien connue chez les jeunes. Selon une enquête de l’OFDT (Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies) la consommation du cannabis chez les collégiens et lycéens français est en constante hausse depuis 2011, après une encourageante période de diminution dans les années 2000. Elle commence tôt chez les adolescents, vers 15 ans en moyenne.
En 2014, 47,8 % des jeunes de 17 ans affirment avoir déjà fumé du cannabis, contre 41,5 % en 2011. Les garçons sont les plus tentés, (29,1% concèdent avoir cédé dans le dernier mois) mais les filles ne sont pas en reste avec 21,9 % de consommatrices mensuelles. Un élève de troisième sur quatre y a déjà touché.
L’enquête ESPAD (European School Survey on Alcohol and other Drugs) de 2011, qui porte un regard sur l’expérimentation de cette substance chez les jeunes européens, classe même la France en première position : elle est le seul pays à présenter un taux d’usage dans le dernier mois supérieur à 16 %. 9,2 % des adolescents sont même des consommateurs réguliers, avec une dizaine de prises ou plus par mois. Voilà pour les constats, plutôt alarmants.
Pourquoi le joint ?
Lorsque l’on fume du cannabis, les effets varient en fonction des individus, mais aussi selon la quantité et le contexte de consommation. Les jeunes recherchent un état de relâchement, de bien-être, d’euphorie. L’enquête ESPAD montre qu’à 17 ans, un usager sur trois prend du cannabis pour « se défoncer » et un sur quatre pour « se calmer ». C’est souvent le cas des jeunes filles qui avouent l’utiliser pour calmer leur anxiété.
« Pendant mes concours la fumette m’aidait à me détendre et à dormir » raconte Camille, étudiante.
On peut également noter que les jeunes le consomment pour faire la fête et trouver le sommeil. Souvent consommé en soirée avec des amis, le cannabis est vu comme un loisir qui rassemble un « clan ».
UN MARCHE FRUCTUEUX A 1 MILLIARD D’EUROS
Il est aujourd’hui très facile de se procurer du cannabis auprès de revendeurs, selon l’OFDT. Le plus souvent, les jeunes se le voient offrir, mais 4 jeunes sur 10 l’achètent et près de 2 sur 10 le cultivent eux-mêmes. Une autre cause de ce surcroît d’attractivité est que ces cultivateurs amateurs produisent de plus en plus de produits de « qualité ». La teneur en THC, tend à augmenter dans les différentes déclinaisons de l’herbe (10% en 2009 contre presque 25% en 2016). Le prix reste de son côté abordable, autour de 7 euros le gramme de résine en 2016. Ce n’est donc pas étonnant que les jeunes y soient de plus en plus accros. Selon le rapport de la mission interministérielle de lutte contre les drogues, le chiffre d’affaires généré par le cannabis en France serait de 1,1 milliard d’euros (2016).
Quand l’addiction s’installe
« Au début, c’est juste un plaisir. A la fin, c’est un besoin. » affirme Paul, 17 ans, à Europe 1. Car si le cannabis possède des vertus euphorisantes, le THC (la substance active du cannabis) dispose également d’un rapide pouvoir d’addiction. La consommation de cannabis libère un messager chimique : la dopamine. Plus il y a de dopamine libérée, plus la sensation de plaisir augmente. Cette sensation d’euphorie et de bien-être est de courte durée. La personne doit alors consommer de plus en plus de cannabis pour retrouver l’effet escompté et tombe petit à petit dans une consommation régulière et excessive.
Un cercle vicieux d’autant plus alarmant que les jeunes consommateurs ne se représentent pas les risques potentiels : pertes de la mémoire, troubles psychiques, problèmes de concentration pouvant entraîner une baisse des résultats scolaires, isolation sociale… Même si sa consommation est associée à une certaine sociabilité elle peut aussi être facteur d’isolement, l’adolescent pouvant aller jusqu’à mettre de côtés ses amis, sa famille et sa scolarité pour organiser son quotidien autour du produit.
L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), démontre que les jeunes qui ont commencé à fumer avant 17 ans ont une probabilité 1,6 fois plus élevée de ne pas dépasser le BAC. Une consommation débutée à l’adolescence entraîne même un déclin cognitif irréversible et de forts risques de pathologies mentales.
L’arrêt n’en est que plus chaotique.
« Cinq à dix jours après l’arrêt d’une consommation régulière, on voit des vrais symptômes de dépendance physique » déclare le Dr Amine Benyamina, praticien à l’hôpital de Villejuif.
L’OFDT signale Stress, irritabilité, problèmes relationnels sont autant de signes qui doivent alerter l’entourage des personnes concernées.
VERS LA LEGALISATION ?
Légaliser le cannabis pourrait diminuer la consommation de cannabis ou au contraire l’augmenter. Dans certains pays, le cannabis est prescrit pour des usages thérapeutiques. Il permet de soulager des symptômes de certaines maladies graves. En France, cette pratique n’est pas autorisée, mais fait débat. « Le cannabis est dangereux particulièrement chez les jeunes qui sont en pleine maturation cérébrale. Aux Etats-Unis, le cannabis reste interdit chez les mineurs. Et une dépénalisation ou une légalisation serait un très mauvais signal adressé aux jeunes. » déclare Danièle Jourdain-Menninger, présidente de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA).
Parler pour en finir
« J’ai envie d’arrêter mais c’est super dur » confie Paul. Une fois accro au cannabis, il est difficile d’arrêter. Comment sortir de ce fonctionnement délétère ? C’est la question que se posent beaucoup de parents désorientés lorsqu’ils apprennent ou constatent que leurs enfants sont des fumeurs assidus. Et c’est une question à laquelle l’Inpes répond en 2014, dans un guide destinés aux adultes « Cannabis : les risques expliqués aux parents ». La première chose à faire serait tout simplement d’en parler, de sensibiliser l’enfant aux risques. Souvent l’adolescent n’est pas conscient de son addiction, il est important de lui faire comprendre qu’il y a bel et bien un problème. Reste à trouver les bons mots pour convaincre un individu en plein âge rebelle…
Toutefois, s’il est déjà trop tard et que les effets sont bien là, des centres de consultation ou des numéros de téléphone sont à disposition du public. Comme les CJC (Consultation Jeunes Consommateurs) qui apparaissent comme le remède miracle. Des professionnels établissent un bilan de la situation et orientent vers des soins adaptés, dans toute la France. Les consultations ne sont pas uniquement centrées sur la consommation de cannabis mais aussi sur le mal être de l’adolescent. Il s’agit d’améliorer la communication au sein de la famille pour mieux appréhender les causes de l’addiction et trouver ensemble des solutions d’accompagnement vers le sevrage. La liste des centres d’accueil est disponible sur drogueinfoservice.fr.
Julie Landré, Romain Lanternier, Manon Laurent, Manon Soeiro
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