La prison des écrans
Dans le(s) Magazine(s) : n°3 avril 2018
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De nouvelles addictions sont apparues avec l’essor d’internet. Des cyberdépendances qui happent les plus fragiles, pouvant aller jusqu’au retrait de la vie réelle.
L’internet a pris le pas sur tous les autres médias, et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Selon un sondage Ipsos ,« Le web apparaît comme le média de choix des jeunes générations (61 %) s’ils devaient n’en garder qu’un, devant la télévision (49%) et le cinéma (35%)». Selon l’étude Ipsos Junior Connect’ 2017 effectuée sur 4700 jeunes de moins de 20 ans, les 13-19 ans passent en moyenne 15h11 par semaine devant leurs écrans.
Si l’utilisation des nouvelles technologies reste raisonnable chez la plupart d’entre eux, pour certains elle s’apparente à une véritable une dépendance comportementale, une préoccupation intellectuelle constante devenue un besoin, celui d’utiliser Internet.
«Toute technologie est pharmakon, à la fois remède et poison», Bernard Stiegler, philosophe français, étude sur les technologies numériques.
Catégories d’accros
Une étude québécoise a répertorié 4 grandes catégories de cyberdépendance. D’abord le cybersexe, une addiction qui se traduit par un univers infini de possibilités de fantasmes sexuels par le biais d’Internet. Mais aussi le cyberépistémophile (la recherche d’informations), le cybertalk (addiction communicationnelle) ou encore le cybergame (addiction aux jeux vidéos), l’une des catégories privilégiées par les adolescents. C’est le cas de Julien, 16 ans, joueur en ligne qui témoigne dans l’étude de son addiction, liée à la recherche de ce sentiment de puissance qu’il acquiert au travers de ses épopées imaginaires.
La cyberaddiction a aussi un sexe. Une recherche québécoise menée par Magali Dufour démontre une sensibilité supérieure des jeunes garçons: ces derniers passeraient en moyenne 56 heures devant leur écran en plus de leur scolarité.
Refuge contre la réalité
Pour expliquer les causes de cette addiction l’INPES ,(Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé) prend l’exemple des jeux vidéo : les joueurs excessifs se réfugient dans les jeux vidéo pour fuir une réalité à laquelle ils ne sont pas adaptés. Un temps de jeu excessif peut être révélateur de difficultés sociales (scolarité chaotique, absence de perspectives), familiales (conflit ou défaut de suivi parental) ou relationnelles (troubles psychologiques de l’adolescence). S’évader sur internet représente un moyen de se sentir mieux, de combler des manques. Le jeu vidéo va donc être un « refuge », une sorte de réconfort pour le jeune.
Enfermement ludique
Mais parfois, la cause de l’addiction est simplement dû au plaisir de surfer sur internet. Dan Véléa, psychiatre et addictologue à Paris a démontré qu’un sujet malade se connecte sur un réseau pour le simple plaisir de se connecter et non dans un but précis. C’est souvent le cas pour les sites de rencontres, où de nombreuses personnes changent régulièrement de sites non dans le but de rencontrer quelqu’un mais pour éprouver la satisfaction de passer d’une plate-forme à une autre.
Cet enfermement dans le monde ludique touche d’autant plus les adolescents que ces derniers sont dans une phase de construction de soi, de recherche d’identité. Ils se voient alors affectés par une manipulation souvent abusive et mauvaise des jeux vidéos. Ces jeunes, nés dans l’ère du digital native, ne peuvent concevoir leur vie sans technologie.
Toxicité sociale
Même si la cyberaddiction est peu reconnue et peu traitée, ses conséquences peuvent être désastreuses et s’apparentent aux symptômes qui touchent les toxicomanes. En effet, c’est un sentiment d’euphorie et de bien-être qui gagne les victimes lors de l’utilisation. Certains jeunes se réveillent même la nuit pour continuer à jouer, à surfer ou à converser sur internet. C’est le quotidien de Félix, 17 ans, devenu cyberdépendant aux jeux vidéos. Le jeune homme, en thérapie depuis sept semaines, s’échappait régulièrement dans ses mondes utopiques : repas, douches, mais aussi sommeil étaient ainsi relégués au second plan. Une situation qui ne pouvait plus durer et qui détériorait progressivement sa santé.
« Quand t’es pas bien dans le monde réel et que tu vois les jeux vidéos un peu comme ta seule échappatoire, je dirais que c’est à ce moment-là que ça devient vraiment une dépendance. » Félix, 17 ans (source Radio Canada).
A la fatigue engendrée s’en suit une baisse de performance ainsi qu’une vie sociale qui se détériore. La plupart des cyberaddicts se désintéressent de toute autre activité et se confinent chez eux. L’appareil connecté devient rapidement le seul ami de l’adolescent et un réel manque de relations sociales se fait ressentir.
L’individu se coupe du monde réel et délaisse les relations humaines parfois même avec ses proches. La famille, les amis, et les collègues se retrouvent eux aussi touchés. Le jeune se renferme sur lui-même, un véritable cercle vicieux car pour lui la solution se trouve en ligne, de ce fait il passe de plus en plus de temps connecté. Cette surconsommation peut perturber le développement affectif des sujets, mais également leur santé.
Santé dégradée
Les effets sont importants et nombreux: troubles du sommeil, irritabilité, tristesse, anxiété… Mais aussi plus graves : diminution des facultés visuelles à cause des écrans, problèmes auditifs engendrés par une écoute trop forte de musique avec des écouteurs ou des casques, problèmes de poids par manque d’activité physique.
On peut également associer la cyberaddiction à la dépression, tant en cause qu’en conséquence. Les proches découvrent alors un individu irritable, anxieux, triste mais c’est principalement l’isolement qui accompagne cette nouvelle drogue.
Thérapie par la parole
Pour sortir de ce cercle vicieux, les addicts doivent trouver de nouvelles réponses pour apporter satisfaction aux attentes et besoins qu’ils comblaient virtuellement. C’est donc avant tout un travail sur eux-même qu’ils ont à faire. Pour les cas les plus graves, en parler à son entourage ou consulter un spécialiste sont les premières possibilités.
Les centres médicaux ou les maisons pour adolescents ont créé un accueil et un suivi psychologique spécifiques pour les jeunes dépendants à internet. La maison Solenn (Paris) et le Centre Médical Marmottant (Paris), par exemple, ont tous les deux créé un accueil dédié aux jeunes addicts. Ces Consultations Jeunes Consommateurs (CJC), présentes dans toute la France, ne sont pas axées sur le jeu vidéo mais sur toutes les formes d’addictions ou de surconsommations (tabac, cannabis, ordinateur…) Les thérapeutes dans ces CJC, sont eux-mêmes des joueurs, ce qui permet de créer un lien fondamental avec le jeune. Des centres de thérapies comportementales cognitives sont également mis à disposition pour prendre en charge les personnes dépendantes sans les brusquer, tout en leur faisant prendre conscience des dommages collatéraux de cette addiction.
La parole reste l’outil principal employé par ces professionnels, et c’est aussi ce qui est conseillé aux parents pour accompagner leur enfant. IL faut éviter de le juger et s’intéresser à son univers pour créer un contact avec lui. Pour les plus jeunes, ne pas installer d’ordinateur ou de télévision dans leur chambre semble essentiel. Enfin, l’encourager à sortir, voir ses amis ou lui proposer des activités en famille est évidemment une bonne chose.
Dylan FOURNILLON, Emmanuelle DENIS, Julie GODARD, Camille ROYER, Jolen LO-ARNOULT
Pour aller plus loin :
http://www.ifac-addictions.fr/au-japon-un-ado-sur-dix-est-accro-a-internet-et-en-france.html