Polyamour : nouvel eldorado sentimental ?
Dans le(s) Magazine(s) : n°4 mai 2018
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Cette représentation contemporaine de l’amour agace autant qu’elle fascine, par son impossibilité à être définie et son inconstance. Certains tentent pourtant de s’en approprier les contours. Jeanne Lebacle, 23 ans, ancienne étudiante en sociologie, en a fait l’expérience, dans sa vie personnelle d’abord puis à travers son mémoire de fin d’étude.
Au cours de l’été 2016, Jeanne terminait un épisode amoureux de 2 ans qualifié par elle-même de « malsain ». A cette époque, elle vivait à Rennes entourée d’un groupe d’amis dont elle est très proche et qui s’adonnent pour certains à des relations non-exclusives. Des fréquentations et une période d’incertitude sentimentale l’ont entraînée dans une remise en question du couple. Elle en a fait son sujet de mémoire, fruit aussi d’une volonté de creuser le sujet pour elle-même.
Déconstruire sa relation à l’autre pour se réaliser
«Avant, quand j’étais en couple et que quelqu’un d’autre me plaisait, je m’en voulais énormément. Maintenant, je remarque à quel point ça devient normal », explique-t-elle, assise confortablement dans un canapé en cuir d’une brasserie dijonnaise. Selon elle, vivre une relation polyamoureuse nécessite une déconstruction des rapports sentimentaux pour sortir d’une vision préformatée du couple. Essentiellement pour ne plus culpabiliser, mettre fin aux maltraitances psychologiques ou morales envers soi-même et envers l’autre. « On a assez de névroses comme ça pour se rajouter celles-ci qui ne devraient pas être et qui sont construites de toute pièce par notre société. Est-ce bien honnête de croire qu’une seule personne peut nous apporter tout ce dont nous avons besoin, tout au long et à chaque instant de notre vie ? » finit-elle par questionner.
Dans une société marquée par la simplicité et la rapidité des échanges humains, l’épanouissement et la réalisation individuelle prennent une place prépondérante. Chomsky, Durkheim et encore Elias, sociologues et philosophes, théorisent ce phénomène depuis des décennies. « C’est l’un des points positifs de la société de l’individu » relève Jeanne. Cela va de pair avec une égalité grandissante au sein des couples, entre les sexes. Partant de cette volonté, on se questionne ; qu’est-ce-qui fait « passer le cap » ? Parfois, l’envie de laisser une grande liberté d’action à son partenaire pour ne pas entraver l’autre. Cela entraine malgré tout des discussions : « Même s’ils souhaitent le meilleur pour leurs aimés, il y a des barrières qui nécessitent d’être repenser et mettent très longtemps à se détruire » rajoute-t-elle en mentionnant notamment, la peur de la perte des liens privilégiés et la jalousie. Pourtant, certains individus réussissent à « déconstruire ces barrières ».
Des règles en constante redéfinition
De par leur nature récente, les relations polyamoureuses ou polysexuelles restent libre de créer leurs propre normes et valeurs. « Dans les couples ‘traditionnels’ il y a tout un tas de règles implicites qui sont bien ancrées, comme par exemple la règle de la jalousie. Si tu es en soirée et que ton copain parle un peu trop longtemps avec une autre, tu te dois d’être jalouse » déclare Jeanne. Ici, les règles sont adaptées et adaptables aux « phases » et aux désirs des individus. Certains estiment qu’empêcher d’aimer est la pire des choses et par conséquent conçoivent l’idée de partager plusieurs relations amoureuses à la fois. D’autres souhaitent conserver une relation « pilier »tout en en entretenant d’autres, physiques. « Pendant un moment de ta vie où tu es en amour libre, tu peux passer dans une phase où aucun des deux partenaires n’a envie de partager d’autres relations sentimentales » explicite-t-elle. L’idée étant de respecter ses envies tout en trouvant un juste milieu pour ne pas écraser celles de l’autre.
Forte de ces réflexions, Jeanne vit aujourd’hui une histoire d’amour à distance dont elle a du mal à définir la tournure. Ne se voyant pas souvent, se réaliser l’un sans l’autre est l’une des facettes inévitables de leur relation. Elle confie que la forme que doit prendre leur relation est un sujet au cœur de leurs discussions : « Au début, c’est moi qui en parlait beaucoup, parce que je voulais le préparer au fait que ça pouvait arriver. Il m’a d’abord dit qu’il était d’accord. Mais en fait je me rends compte qu’il le vivrait mal. » Pour le moment, elle n’en a pas eu envie, n’a pas rencontré quelqu’un qui l’a faite « chavirer » mais elle confie penser se mettre des barrières pour le respecter. « Je me suis promise que je lui en parlerai, si jamais je rencontrais quelqu’un. Je verrai bien à sa réaction la voie que dois prendre notre relation et j’agirai en conséquence. »